Le corps réinventé de Virginie Poitrasson - L'Humanité - 7 septembre 2018
Le corps réinventé de Virginie Poitrasson
Vendredi, 7 Septembre, 2018
Avec Le pas-comme-ci des choses, la poète de Il faut toujours garder en tête une formule magique fait face à un corps qui se disperse, se multiplie, se dissout et que l’écriture peut à nouveau faire apparaître.
Virginie Poitrasson, Le pas-comme-ci des choses. L’Attente. 172 pages, 16 euros.
« Combien de corps faut-il que je trimbale ? » demande Virginie Poitrasson à l’entame de ce récit. Avoir le sentiment de se trouver sans corps, ou dotée d’une multiplicité de corps, et comment le dire ? C’est ce dont Le pas-comme-ci des choses se propose de rendre compte. Cela n’est pas un épisode dans une vie, pas un événement, cela ne commence pas vraiment. Il y a « juste un bruit de fond » et « de petits drames » l’un après l’autre, des « oscillations de présence », qui apparaissent. On pourrait décrire de la sorte le commencement du monde, qu’on soit théologien ou physicien.
Le récit, lui, nous met en présence d’anomalies, d’accidents. Des doigts qui se raidissent et laissent tomber des objets. Des yeux qui voient flou, ou décalé. Un corps qui, lui dit-on, est « un bel accident ». Une crise hallucinatoire ou un corps qui « se réinvente constamment ». Corps qui disparaît, se dédouble à l’infini. « Je n’oppose plus de résistance, je suis toute à mon corps, à mes corps. Je les additionne. » Plus de corps, cela peut se lire multiplication ou aussi soustraction : « En fait, il n’y a pas de corps. » Assimilé aux objets, avalé par les surfaces, les volumes, les murs ou l’eau, les vases, les fils électriques, il ne se distingue plus du monde. Le titre même « pas-comme si » établit cependant « Mon corps est la texture commune de tous les objets. »
Le
livre peut se lire comme le récit d’un rêve
Le
pas-comme-ci des choses peut se lire comme le récit d’un rêve. Il y en a dans
chacune des onze sections du livre. Leur début est signalé, pas leur terme.
Comment savoir où ils finissent sans définir une frontière, indiscernable. Le
texte entier pourrait ainsi être lu comme un rêve infini, une série de rêves
emboîtés que la dernière page ne clôt pas. Rêve, insomnie, souvenir, éveil,
sait-on si on est revenu au matin dans la réalité ? Sait-on si même elle
existe ? « Ce monde n’est peut-être rien de plus qu’un moyen d’être
dans un autre monde.»
L’ouvrage
de Virginie Poitrasson ne se présente cependant pas au lecteur comme une
méditation abstraite sur le peu de réalité. S’il n’est pas la narration d’un
épisode délirant, le texte s’ancre dans la matérialité du corps qui se dérobe,
qui se dissout, dans la force des traces sensorielles, la persistance des
impressions. Partant des sensations du corps propre à celles de son absorption
dans les objets puis de sa multiplicité, il propose une sorte d’itinéraire de
la dépossession. « Je passe au travers de moi pour observer la foule. Ma
foule intérieure ».
Ce qui
tient, cependant, c’est la certitude de « progresser telle une ombre au
bout d’une phrase ». Le livre, dont le titre Le pas-comme-ci des choses »
fait écho au « parti-pris » de Ponge, est l’aventure d’une écriture
face à ce qui se dérobe, « une façon de saisir ce qui a été perdu ».
Plongée dans la béance entre corps et monde, entre réel et langage, Virginie
Poitrasson répond avec humilité par la précision de la phrase, le refus du
surplomb. « Écrire pour faire apparaître ce qui n’a plus que l’apparence
de quelque chose » est la revendication de ce texte vertigineux et
fascinant où corps et langage se réinventent en écho.
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